Propos recueillis par Pedro Ferreira le 7 juin 2019

Comment avez-vous découvert l'aviron ?

Yohann : Mon père en avait fait un petit peu quand il était jeune. À 15 ans il voulait que je me mette au sport, comme j'étais grand il m'a dit d'essayer l'aviron. J'ai commencé à Besançon. Avec une quinzaine de gosses de mon Lycée on s'est pointés un samedi de septembre et ça a tout de suite collé.
Dorian : J'ai commencé l'aviron parce que ma grande sœur et mon grand frère en faisaient. On était une famille de sept enfants et par souci d'organisation ma mère nous a tous mis au même sport. Je faisais du foot, j'ai grandi du côté de Marseille, le pays du foot. Elle m'a dit du jour au lendemain d'arrêter et de me mettre à l'aviron. Ça m'a plu, le fait d'être sur l'eau et l'ambiance, je ne regrette pas aujourd'hui.

À quelle âge avez-vous commencé à ramer ?

Dorian : J'ai commencé à l'âge de 13 ans en minime à Marignane
Yohann : J'ai commencé en cadet à l'âge de 15 ans en 1995.

Comment s'est faite votre bascule vers le haut niveau ?

Dorian : J'ai fait les Championnats de France junior avec mon frère Donatien en double à Vichy. Lui était en équipe de France junior et moi un rameur de club. On a gagné, c'était ma première compétition de haut niveau et c'est là que je me suis dit «c'est possible d'aller vite».
Yohann : Moi je n'étais pas super bon quand j'étais en France mais j'ai quand même gagné le Championnat de France junior en deux de couple avec Alexandre Belgy. Lui est parti aux Championnats du monde en deux de couple et moi, je suis parti à la Coupe de la jeunesse en quatre de couple. Le niveau à la Coupe de la jeunesse n'est pas aussi bon que celui des Championnats du monde mais j'ai quand même goûté aux couleurs tricolores. Mon club n'étant pas très gros, quand je suis devenu sénior, il était plus difficile de trouver des coéquipiers avec qui ramer pour passer au haut niveau et je n'ai pas poursuivi ma carrière en France. En 2005 j'ai déménagé aux États-Unis dans l'Ohio et j'ai complètement arrêté l'aviron pendant 4 ans, j'étais juste entraineur à la Central Catholic High School de Toledo. En 2010 j'ai déménagé à Philadelphie et c'est ma femme qui m'a poussé à refaire de l'aviron. Philadelphie c'est la Mecque de l'aviron aux USA. C'est là qu'un entraîneur hollandais (qui avait été dans le quatre de couple olympique) me dit «Tu devrais t'y remettre sérieusement, tu n'as pas l'air d'être mauvais». Quatre ans après, un peu à la surprise générale, j'intègre pour la première fois l'équipe américaine en skiff. Mon premier résultat international c'est 21e en skiff au Championnat du monde 2014 à Amsterdam. Ça ma redonné le goût.
Pedro : J'étais à Sarasota en sécu sur la ligne d'arrivée et je ne savais pas qu'il y avait un français dans le 8+ américain…
Dorian : Donc aller vite en huit pour un français c'est possible, Yohann l'a fait !
Yohann : C'est comme ça que j'ai recommencé le haut niveau c'était plus aux États-Unis qu'en France.

Quel est le résultat qui vous a le plus marqué ?

Dorian : La médaille de bronze aux Jeux olympiques de Pékin en quatre sans. C'était inattendu, on avait 22 ans et on était quatre du même âge qui avions été champions du monde juniors sept ans avant. L'organisation, tout ce qui va avec et l'après c'était juste magique.
Yohann : C'est sans doute la 2e place en huit au Championnat du monde de Sarasota parce que c'était à la maison et parce que personne ne pensait qu'un français pouvait le faire. Le projet du huit ne s'est pas fait du jour au lendemain, je suis passé par le deux sans et le deux barré dans les équipes nationales américaines. Arriver au haut niveau en huit, le bateau roi, c'est formidable !

Dorian, comment vois-tu l'évolution de l'aviron français ? Y a-t-il des choses à améliorer pour se hisser dans le groupe des meilleures nations ?

Honnêtement je ne vois pas d'évolution dans l'aviron français, on ne s'adapte pas à l'aviron d'aujourd'hui. Toutes les nations évoluent physiquement, physiologiquement. En France on suit tous le même programme quels que soient la taille, le poids et le sexe. Nous restons aussi bloqués sur les bateaux courts. On ne sait pas faire du bateau long. Pour ça c'est simple, il faut faire comme aux USA et regrouper tout le monde au même endroit. Faire en sorte que les rameurs acceptent les regroupements ce qui peut être compliqué car les athlètes ont des familles.
Yohann : Aux États-Unis on accepte le fait qu'il faut partir pour les entraînements
Dorian : Ça marche aux États-Unis, ça marche en Allemagne, en Italie, en Nouvelle-Zélande, pourquoi ça ne marcherait pas en France ? J'ai toujours été cash et je pense que la fédération est assez vieillotte. Il faudrait apporter du sang neuf à la direction de la FFA.

Yohann, l'organisation de l'aviron aux États-Unis est-elle très différente de celle de l'aviron français ? Penses-tu qu'il y a des bonnes idées à prendre ?

La plus grosse différence entre les deux pays c'est qu'aux États-Unis l'aviron est axé sur les universités. Au départ tout le monde va à l'université pour faire de l'aviron et c'est comme ça que se montent les gros bateaux. Les universités ne font que du huit et du quatre, il n'y a rien en dessous. Après les étudiants savent que quand ils ont fini l'université, pour être en équipe nationale il faut qu'ils partent sur la côte est ou la côte ouest. Ils n'ont pas le choix, il faut aller dans le camp d'entraînement. On peut faire des petits détours mais pour être dans le huit tout se passe à un seul endroit : les filles sont sur la côte ouest et les garçons sur la côte est. Je ne sais pas si la France peut copier ce modèle. Le regroupement, oui, mais le modèle universitaire n'est pas transposable car il s'agit de grosses universités privées qui ont beaucoup d'argent et qui achètent leurs rameurs. Les rameurs ont en échange une éducation avec un diplôme d'une université prestigieuse comme Harvard ou Yale. Quelqu'un qui ne va pas dans une grosse université a très peu de chance d'aller dans l'équipe nationale. Pour se faire recruter par une université il faut déjà être bon au lycée, ce qui fait que l'aviron au lycée est très important, presque aussi important qu'à l'université sauf que les rameurs ne sont pas payés pour être à l'école. C'est dans les grands lycées de Philadelphie ou de Californie, qui produisent tous les talents, que Yale et Harvard recrutent et ce sont ces jeunes qui finissent en équipe américaine. Il y a aussi beaucoup plus de licenciés aux USA qu'en France (ndlr : en France 45 000, aux USA 100 000). Aux États-Unis il y a une centaine de gars qui sont sous les six minutes à l'ergo.
Dorian : En France il y en a une dizaine.
Yohann : Pour faire un bon bateau on peut puiser parmi une centaine de gars. C'est différent, je ne sais pas si la France pourrait adopter le même système.

Quels seraient les axes de développement qui pourraient permettre une évolution souhaitable ou souhaitée de notre discipline ?

Dorian : L'aviron est discipline olympique depuis la création des Jeux. C'est vrai que pour le spectacle, à part en huit où ça va vite avec des courses de 5 minutes, en bateaux plus courts, 2000 m c'est long, il y a des écarts monstrueux, au niveau visuel ce n'est pas agréable à regarder pour le public ou les téléspectateurs. Une distance plus courte c'est plus spectaculaire mais ce serait changer une distance qui est là depuis 125 ans.
Yohann : Ce serait comme changer le 100 m en 50 m en athlétisme. Ce qui peut faire évoluer l'aviron ce sont les médias. Ça a par ailleurs déjà commencé à changer comparé à 1995 quand j'étais à l'école et que je ne connaissais même pas ce sport. Ça fait 10 ans que les médias s'intéressent un peu plus à l'aviron. C'est vrai que couvrir une course de 2000 m en skiff qui fait plus de 7 minutes avec les écarts ce n'est pas facile mais ça va venir.
Dorian : C'est hallucinant d'avoir passé les handis sur 2000 m.

Que ressentez-vous à l'aube de vos premières courses sous les couleurs de Boulogne 92 ? (ndlr : l'entretien a été réalisé deux jours avant la finale du huit)

Dorian : J'ai fait les Championnats bateaux courts avec Lolo (ndlr : Laurent Cadot) l'année dernière et, honnêtement, l'ambiance m'a rappelée quand on partait en déplacement avec l'équipe de France de l'époque où on avait tous nos potes. Quand on regarde de l'extérieur on se dit que ce club est une usine mais c'est une grande famille. J'aurais aimé être là depuis 15 ans, j'aurais kiffé. J'ai hâte de faire la première course. En plus on est en huit, ils ont réussi à faire venir Yohann des États-Unis je trouve ça cool.
Yohann : Je suis très excité, ça fait deux ans que Yvan Deslavière me dit «Viens, on va faire le huit ensemble ! » du coup ça s'est réalisé, je suis ici et je ne veux qu'une chose c'est de faire la médaille, voire plus… Quand les gens me disent il y a Lyon, il y a Verdun je m'en fous, je ne connais personne à Verdun.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune rameur qui souhaite s'investir dans notre sport et progresser ?

Yohann : Persévérance. Je lui conseillerais de ne jamais s'arrêter, il y a toujours un moyen d'y arriver.
Dorian : Oui, exactement, c'est comme ça que nous avons réussi. Je me rappelle dans mon premier club où l'entraîneur me disait «Tu ne feras jamais rien, tu es trop nerveux, tu n'écoutes rien.» Maintenant je suis devenu quelqu'un de calme, ça a marché, il faut y croire. Je suis persuadé que c'est possible pour tout le monde, à condition de faire l'effort et d'écouter les conseils des entraîneurs…
Yohann : …des gens avec plus d'expérience. Il faut écouter les vieux qui viennent aux Championnats de France 😉
Dorian : Pour les jeunes tout est possible.

PF